Les œuvres :
– Camille Claudel, La Valse (1905)
– Bertrand Lavier, Aria Pro II (1995)

Le symbole : la musique, la danse, l’œuvre d’art

Les idées évoquées : les valeurs établies, l’irrévérence, le devenir de l’objet

 

Biographie

Bertrand Lavier (Châtillon-sur-Seine, 1949)

Bertrand Lavier est âgé de moins de 20 ans lorsqu’il se prend de passion pour l’art en passant tous les jours devant la galerie Daniel Templon à Paris. Il y découvre notamment l’œuvre conceptuelle de Joseph Kosuth, qui le marquera au même titre que celle de Marcel Duchamp.
Au début des années 1970, Bertrand Lavier, qui vient de terminer ses études d’ingénieur horticole, débute le vaste « chantier » de son œuvre et commence à participer à des expositions de groupe. S’inspirant des expériences pratiquées dans le cadre de sa formation d’horticulteur, il transpose le concept d’hybridation dans ses créations, en peignant par exemple sur des objets de la vie courante.
En 1984, il conçoit une série d’objets superposés, jouant sur les rapports entre présentation, représentation et sculpture. En réinvestissant le concept de « ready made » dans le courant des années 1990, Lavier cherche à troubler notre capacité de perception et d’interprétation, en conférant à ses objets beauté et force émotionnelle. En les présentant sur un socle, comme des pièces ethnographiques, l’artiste propose en outre une réflexion sur les dispositifs de présentation et de valorisation des objets, comme sur les conditions de leur possible sacralisation.

Le symbole au service de l’anticonformisme

Lorsque Camille Claudel sculpte La Valse, deux corps nus s’enlaçant érotiquement, elle rompt avec la société prude de son époque. Jugée obscène et inacceptable par le critique d’art Armand Dayot, l’œuvre fait scandale. L’artiste est contrainte de la « censurer » en sculptant un drapé autour des corps. Cet artifice permet aux danseurs de retrouver toute bienséance et de recentrer le sujet sur la danse.
À première vue, l’œuvre qui constitue son pendant, Aria Pro II (1995) de Bertrand Lavier, se présente comme une simple guitare, un instrument de musique banal. Mais Lavier la transforme en une œuvre d’art à la manière des ready-made duchampiens, dont Fontaine (1917) reste l’exemple le plus emblématique.
Il cherche aussi à dépasser sa nature de « ready made », par le choix d’un objet symbolique, représentatif de la culture occidentale. Icône du rock’n’roll, la guitare électrique est le symbole de toute une époque : celle du festival de Woodstock, de la guerre du Vietnam et de la libération des mœurs. Objet fascinant, qui fusionne le masculin et le féminin, elle est un fétiche d’un genre nouveau.
Si Rodin et Claudel avaient remis en question la tradition du socle en sculpture (dans La Valse, c’est la robe mal dégrossie qui fait socle), Lavier prolonge différemment le geste : il greffe sa guitare sur un socle, réalisé par l’un des meilleurs socleurs d’art primitif. Dès lors, c’est tout le statut de l’objet qui se voit remis en question, à mi-chemin entre œuvre d’art et pièce ethnographique. Décontextualisée et mise en valeur par le dispositif de soclage, la guitare s’impose dans sa beauté formelle et peut dès lors bénéficier d’une seconde vie, érigée au même statut que la sculpture de Camille Claudel : celui d’une œuvre d’art éternelle, qui bouscule les valeurs établies.


Adèle Maupin
et Juliette Jessin, étudiantes en Licence d’Histoire de l’art et Archéologie, Université de Poitiers