Les œuvres :
– André Brouillet, Violation du tombeau de l’évêque d’Urgel (1881)
– Clara Ianni, Apelo (2014)

Le symbole : le cercueil

Les idées évoquées : le respect des morts, une inhumation et une sépulture dignes, la politisation des corps

 

Biographie

Clara Ianni (Sao Paulo, Brésil, 1987)

Clara Ianni est une artiste brésilienne diplômée des universités de Sao Paulo (licence en arts visuels) et de Berlin (master en anthropologie). Elle a également étudié la philosophie et la psychologie.
Après l’obtention de son diplôme de peinture, elle réalise surtout des sculptures et des installations, souvent à partir d’objets de la vie quotidienne. Son œuvre est marqué par la réalité du travail, du labeur – deux termes qui se traduisent en portugais par trabalho. Ainsi, dans Apelo, une place importante est donnée aux ouvriers qui, en dépit de leur anonymat, ne sont ni invisibles ni inaudibles pour autant.
La famille dont est issue Clara Ianni s’est affirmée politiquement au Brésil : son grand-père a traduit l’œuvre de Marx en portugais, ses parents se sont engagés contre la dictature, et elle-même a côtoyé des groupes anarchistes. Son œuvre interroge à la fois la dictature qui s’est imposée dans son pays entre les années 1960 et les années 1980, et le néo-libéralisme plus récent. Elle s’engage ainsi contre la notion de progrès qui, pour elle, constitue un « déni systématique du passé », et combat les pratiques d’occultation en particulier issues de la dictature.

Les corps invoqués

La confrontation d’Apelo de Clara Ianni avec le tableau d’André Brouillet permet de tenir une réflexion sur l’utilisation politisée des corps défunts. Dans ces deux œuvres, la perte de la dignité humaine par la maltraitance des cadavres (cercueils anonymes, mal fermés ou déterrés) est l’expression d’un pouvoir autoritaire et violent. Tandis que Deborah Maria da Silva, dans Apelo, veut « réparer » la mort des victimes, en leur redonnant de la dignité, André Brouillet affirme une autre volonté en désacralisant le corps du défunt.
Les hommes qui s’occupent des corps sont anonymes. Ils exécutent les ordres d’un tiers : l’évêque dominicain d’Urgel, dans le tableau ; Deborah Maria da Silva, dans la vidéo, qui incarne un contre-pouvoir.
La nature joue aussi un rôle sensible. Les artistes ont recours à des procédés plastiques similaires. Les plans fixes centrés sur la terre dans Apelo rapprochent son esthétique de celle des tableaux de paysages de l’époque. La lumière, l’atmosphère matinale et la touche picturale dans La Violation du tombeau de l’évêque d’Urgel font appel aux sens du spectateur, tout comme les bruits de la bande-son et les gros plans sur la terre dans Apelo. Tandis que la nature de Brouillet renvoie à la notion d’illicite, à un sentiment d’isolement, elle représente le trivial chez Ianni : les gros plans sur les fourmis en quête de nourriture, puis l’enfouissement d’un cercueil en train de s’ouvrir créent un sentiment de gêne, de souffrance, même si le corps du défunt ne peut, lui, plus rien ressentir.
Le symbole du cercueil permet ici d’évoquer le respect dû aux corps, sinon la possibilité d’une vie après la mort. Pour que la mort soit paisible, il convient d’être inhumé en dignité, de manière officielle. On retrouve cette idée dans des cultures qui, étrangères dans le temps et dans l’espace, partagent cependant une même tradition catholique.


Lisa Dubost
et Mayana Lebot, étudiantes en Licence d’Histoire de l’art et Archéologie, Université de Poitiers