Les œuvres
:
– Jean-François Théodore Gechter, Le combat de Charles Martel et d’Abderame, roi des Sarrazins (1833)
– Pierre Jahan, Homme transportant un buste (1941)

Le symbole
: les statues des grands hommes

Les idées évoquées
: la mémoire de l’Histoire

 

Biographie

Pierre Jahan (Amboise, 1909 – Paris, 2003)

Pierre Jahan débute sa carrière par la photographie publicitaire. L’illustrateur Raymond Gid, qui possède une agence de publicité, lui enseigne l’art de la composition et de la typographie. Par la suite, Jahan devient l’un des principaux photographes de la revue Plaisirs de France.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Pierre Jahan réalise clandestinement une série de photographies qui documente l’enlèvement des statues en bronze sur ordre du régime de Vichy ; elles seront fondues pour en récupérer le métal.
La série est redécouverte peu de temps après la Libération par Jean Cocteau, qui décide d’associer ses poèmes aux images de Jahan et nomme l’ensemble, en accord avec le photographe, La Mort et les statues. Ce travail marque le début de l’engagement et de la renommée de Pierre Jahan.
En 1946, le photographe réalise une série montrant le retour des œuvres volées au Louvre. Aux côtés de Robert Doisneau et de Willy Ronis, il rejoint par la suite le Groupe des XV, qui milite pour la sauvegarde du patrimoine photographique français et pour la reconnaissance de la photographie comme expression artistique à part entière.

Sculpture de mémoire et d’oubli

La sculpture est un moyen privilégié de la mémoire car elle est par définition pérenne dans le temps et dans l’espace. Mais si la figure de Charles Martel demeure, le grand homme de Jahan ne nous apparaît que par son empreinte photographique. Il nous est présenté dans sa faiblesse, dans le sens où Jahan documente le devenir tragique de la sculpture : tout comme l’homme qui lui a servi de modèle, elle est elle aussi vouée à disparaître.
Charles Martel symbolise la mémoire soumise à un pouvoir : il constitue l’élément unificateur d’un peuple au service d’un régime encore mal assuré. Face à lui, l’œuvre de Jahan se construit davantage comme un outil de résistance, tant dans la démarche du photographe que dans le message que véhicule son image, la destruction des statues entreprise par le régime de Vichy. On ne peut s’empêcher de voir aussi dans ce démantèlement des statues la victoire symbolique de la culture de l’occupant sur celle de l’occupé, peu de temps avant la célébration de l’œuvre monumentale d’Arno Breker, sculpteur officiel du IIIe Reich, à l’Orangerie – œuvre pour laquelle Jean Cocteau ne cachait pas son admiration.
Charles Martel incarne enfin la mémoire comme modèle (exemplum virtutis), celui du défenseur supposé de la chrétienté et d’une nation encore inexistante face à un islam conquérant. L’œuvre de Jahan lui oppose une mémoire négative, l’oubli finissant par vaincre la mémoire dès lors qu’elle n’est plus incarnée par des monuments. Ainsi, la sculpture présentant la figure d’un grand homme peut à la fois accentuer sa monumentalité et son importance et affirmer, du fait de la dégradation possible de la matière dans laquelle elle est coulée ou taillée, la finitude de chaque être humain, fut-il le plus illustre ou le plus glorieux.


Aurélia Bardot
et Pierre Brossard, étudiants en Licence d’Histoire de l’art et Archéologie, Université de Poitiers