Dector & Dupuy, Non, 2001

Michel Dector et Michel Dupuy, tous deux issus de la génération d’après-guerre, font œuvre commune depuis les années 1980. Leur art est le fruit d’une récupération urbaine : dans la ville, Dector & Dupuy relèvent les empreintes de la société qu’ils découvrent à chaque coin de rue, des témoignages de vie allant même parfois jusqu’à la contestation. Par le biais de leurs photographies ou de simples photocopies, ils restituent des griffures sur les murs, des slogans scandés lors de manifestations, des affiches publicitaires, autant de signes que nous croisons chaque jour dans nos villes sans plus vraiment y prêter attention. En transformant ces fragments de la société urbaine en œuvres d’art, ils redonnent un nouveau statut, parfois inattendu, à des éléments de la vie quotidienne banalisés ou ignorés, proposant ainsi une nouvelle approche de l’espace public.

Dector & Dupuy, Non, 2001
Photocopies couleur marouflées sur toile
Collection : FRAC Poitou-Charentes

Borne milliaire d’Antonin, 2e siècle ap. J.-C.

Cette borne provient probablement de la voie Poitiers – Argenton.
Elle fut remployée successivement comme tombeau au haut Moyen Âge, puis comme jambage de porte à l’époque moderne.
Voici l’inscription au complet :
IMP.CAES DIV[ihadri]
ANI.FIL DIVI T[raiani]
PARTHIC NERO [s divi]
NERVAE PRON[eptael]
HADRIAN ANT[oninus]
AVG PIVS PMT [2 p III cos]
III [pp]
FIN XI [lim X]

Il s’agit d’une déclinaison de noms d’empereurs, reprenant la généalogie de la famille de l’empereur romain Antonin. On pourrait la traduire ainsi : « Pour l’empereur César, fils du divin Hadrien, neveu du divin parthe Trajan, arrière-petit-fils du divin Nerva, Antonin Auguste le Pieux de la famille d’Hadrien, très grand Pontife, 3000 pas jusqu’à la limite ».


Borne milliaire d’Antonin, 2e siècle ap. J.-C.
Calcaire gravé
Collection : Musée Sainte-Croix

Confrontation

La borne milliaire d’Antonin atteste la force symbolique du marquage territorial de l’Empire romain. L’inscription gravée dans la pierre en lettres majuscules tend à indiquer la pérennité de l’Empire. La borne est un signe de pouvoir à la fois spatial et temporel.
L’œuvrede Dector & Dupuy témoigne d’une inscription dans un espace mental fortement marqué par la culture politique contemporaine, principalement urbaine. Ils voient en la rue un forum informel. Les deux artistes transcrivent ici des slogans politiques et sociétaux au profit du « non », expression de la suprême liberté individuelle.
La connotation anarchisante est accentuée par l’usage du rouge et du noir.
Dans les deux cas, le texte originel est traité avec désinvolture. La borne a été réemployée dans un contexte funéraire et domestique et le message est devenu obsolète. Dans l’œuvre contemporaine, l’érosion des revendications de la société du 20e siècle s’effectue grâce à des procédés formels (homonymie, répétition, etc.) qui ne sont pas sans analogie avec ceux que l’on peut trouver dans les domaines du langage et des arts décoratifs.


Amyris Duquerroy
, étudiante en Master 1 CHPS, Mondes modernes et contemporains – Université de Poitiers