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L’artiste qui se cache derrière le pseudonyme d’Ernest T. a débuté sa carrière dès les années 1960, avec la réalisation de ses Dessins français, de petits dessins comiques et satiriques conçus à partir d’images trouvées dans la presse ou dans des calendriers. Dans les années 1980, il change de support et crée ses Peintures nulles, dans lesquelles il affirme son style par l’humour, l’autodérision et la critique de la peinture abstraite, et dont les trois couleurs font référence à Piet Mondrian. Par l’emboîtement de la lettre T et la subversion du modèle laissé par Mondrian, l’artiste atteint le « degré zéro » de l’art. Il s’attache à démythifier et désacraliser les codes des différents acteurs du milieu artistique. Ainsi, il plagie, copie et calque les images, se moquant du spectateur à la recherche d’un plaisir esthétique ou s’essayant à la critique.
• Ernest T.
• Voyeur n°3
• Vers 1966
• Pochoir, 50 x 65 cm
• Collection FRAC Poitou-Charentes
Voyeur n°3 d’Ernest T. s’inscrit dans une série d’œuvres au pochoir. Elle met en scène un personnage qui peut voir des individus sans leurs vêtements grâce à des lunettes spéciales. À droite, l’homme avec les lunettes semble surpris. Son regard, souligné par les pointillés, est dirigé vers la jeune femme à gauche de l’œuvre ; il la perçoit déshabillée alors que le contour de ses vêtements reste visible. Celle-ci détourne la tête vers la droite, adoptant la pose d’un mannequin mais éprouvant un certain malaise vis-à-vis de l’homme qui l’observe. L’artiste utilise la technique du pochoir et s’inspire des vignettes de l’Almanach Vermot et des vignettes et dessins satiriques trouvés dans la presse.
Voyeur n°3 d’Ernest T. et Anthinéa de Giuseppe Gambogi offrent une place centrale au corps féminin. Gambogi sculpte une jeune femme nue, aux proportions parfaites et académiques, allongée sur un lit quadripode en bois couvert d’une peau de bête ; Ernest T. représente un homme voyant à travers les vêtements d’une femme grâce à des lunettes spéciales.
Dans les deux cas, le corps de la femme est exposé au regard de l’homme. Anthinéa respecte les normes académiques dites « idéales », selon le canon de l’époque : son corps est mis en avant par la position qu’elle adopte. Dans le dessin d’Ernest T., la présence de pointillés suggère le regard de l’homme, qui est ici ravalé à ses penchants lubriques.
Les deux artistes ont utilisé sensiblement les mêmes canons dans la représentation féminine ; les parties intimes des deux modèles sont couvertes et leurs postures sont sensuelles. Les deux femmes sont aussi anonymes : la potentielle Anthinéa s’inscrit dans la sensualité des œuvres orientalisantes, plaçant la femme au cœur d’un mystère teinté d’érotisme ; dans l’œuvre d’Ernest T., le corps de la femme est standardisé, conforme à l’idéal publicitaire ; aucun détail ne permet de la singulariser. Les lunettes et les pointillés créent aussi une certaine distance entre les deux personnages : la femme est objet de fantasme, inaccessible et anonyme. Le spectateur redouble la position du voyeur car les pointillés attirent naturellement son œil vers la femme. Ernest T. dénonce, avec humour, le regard insistant que les hommes peuvent porter sur les femmes, au point de littéralement les déshabiller du regard.
Voyeur n°3 et Anthinéa exposent une vision du corps de la femme correspondant aux canons de beauté académique (pour Giuseppe Gambogi) ou aux clichés relayés par les vignettes de l’Almanach Vermot (pour Ernest T.). Ainsi, les représentations féminines – où les normes académiques sont appliquées – deviennent des femmes objets de désir, attirant les hommes malgré elles. Le canon ne peut donc pas être représentatif de la diversité physique ; il définit un critère de beauté uniforme au sein de la société.
Maëva Chambonnaud et Salomé Puente, étudiantes en Histoire de l’art – Université de Poitiers