Jérémie Bennequin, OMMAGE 2.1 : À la recherche du temps perdu II, À l’ombre des jeunes filles en fleurs (première partie), 2013
Collection : FRAC Poitou-Charentes

Plaquette gravée figurant une femme assise, Grotte de La Marche, Lussac-les-Châteaux (Vienne), Magdalénien, Préhistoire
Collection : Musée Sainte-Croix

Biographie

Jérémie Bennequin (Paris, 1981)

Jérémie Bennequin est artiste plasticien et enseignant en arts visuels au sein d’écoles d’études supérieures.
Il vit et travaille actuellement à Paris, où il a réalisé plusieurs expositions personnelles. Il a publié quelques livres d’artiste (Les Lesbiennes, Éditions Dilecta, 2016 ; Le Hasard n’abolira jamais un coup de dés, éditions Yvon Lambert, 2014…) Il réalise également des performances et participe à des conférences en France et à l’étranger. Ses œuvres sont présentes dans des collections publiques et privées.
Sa démarche artistique se développe autour des notions de mémoire et d’effacement, autant sur le plan du processus qu’au niveau des traces qui subsistent. Il gomme des textes en hommage à quelques poètes et écrivains, comme Marcel Proust, qualifiant son geste artistique d’« estompage proustien ». Les œuvres littéraires constituent donc son matériau privilégié. La destruction des lettres révèle un univers ambigu, entre lisible et visible, une écriture en retrait, une abstraction graphique.

L’effacement comme méthode

L’idée de mémoire permet de rapprocher OMMAGE 2.1 et Plaquette gravée figurant une femme assise. Le gommage de Bennequin est une pratique d’estompage et une destruction autant qu’une création. L’artiste efface des pages entières d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, du côté le plus râpeux de la gomme, qui tient lieu de « pierre ponce ». Son acte, qualifié « d’évanouissement », permet aux rares mots non effacés privés de leur contexte de gagner en poésie et en mystère.

La plaquette de calcaire gravée figurant une femme assise est un élément d’art mobilier mis au jour dans la grotte de La Marche à Lussac-les-Châteaux (Vienne). Plusieurs phases de gravure sont observables, ainsi que des effacements partiels par ponçage, ce qui fait de cette plaquette un palimpseste. Il s’agit d’une pièce très importante du point de vue archéologique, compte tenu de la rareté des représentations humaines dans l’art du Paléolithique.

Bien que le geste soit primordial dans les deux cas, les traces que l’on observe sur la plaquette de calcaire gravée et dans l’œuvre de Bennequin ne sont pas de même nature : les traces laissées par l’outil du graveur préhistorique sur la pierre contrastent singulièrement avec les traces du passage de la gomme produites par Bennequin. Les gommages de ce dernier ne sont pas sans évoquer le geste célèbre de l’artiste Robert Rauschenberg, effaçant un dessin de Willem De Kooning pour créer une œuvre nouvelle.
Naturellement, Bennequin n’attaque pas littéralement l’œuvre de Proust : il se contente d’effacer un seul exemplaire – qui n’est pas en outre le manuscrit original ! –, faisant ainsi plutôt une démonstration de la fragilité du papier et des manques de la mémoire.
Les deux œuvres, tout en étant ancrées dans leurs époques respectives, peuvent être mises en regard par la répétition du geste qui les constitue. Elles permettent de réfléchir sur les notions de préservation et de destruction, ainsi que sur le rapport que nous entretenons au temps, aux mots et aux images.


Yulia Mishkina
et Tiffany Marchand, étudiantes en Licence 3 d’Histoire de l’art, Université de Poitiers