Hermann Göhler, Portrait de femme, 1902
Collection : Musée Sainte-Croix

Natacha Lesueur, Sans titre, 2000
Collection : FRAC Poitou-Charentes

Biographie

Natacha Lesueur (Cannes, 1971)

Photographe et plasticienne, Natacha Lesueur a fait ses études à la Villa Arson, École nationale supérieure d’art de Nice. En 2000, elle fut lauréate du Prix Fondation d’entreprise Ricard qui récompense chaque année un(e) artiste émergent(e) de la jeune création artistique. Depuis 1993, elle se consacre essentiellement à la photographie, qu’elle enseigne dans les écoles d’art de Lausanne et de Rennes.

Le corps est son sujet de prédilection : elle le soumet à différents traitements relevant de la contrainte, de la mise en scène et du masque (entre parure et camouflage), mettant en avant la relation qui lie la chair à l’alimentaire. Elle souhaite désacraliser le corps et « montrer plusieurs facettes de la féminité ». Son travail a été motivé essentiellement par la multiplication d’images-modèles véhiculées par les magazines et publicités de mode.

Sans titre, 2000

Le thème commun aux deux œuvres est celui de la remise en question de l’identité et de la considération du corps humain, en particulier du corps féminin. Portrait de femme, d’Hermann Göhler met en scène une femme “à la garçonne”, se tenant droite, assise sur un banc rigide. Elle est de profil et est dotée d’attributs jusqu’alors considérés comme masculins par la société, tels que le canotier et la canne, ce qui lui confère un aspect androgyne. L’artiste s’attache à créer une confusion volontaire chez le spectateur en cachant les traits du visage du modèle.

Le tableau d’Hermann Göhler est un écho aux libertés féminines qui émergent. Ces questions autour de l’identité et de la considération du corps évoluent et s’enrichissent au fil du temps. Elles se traduisent notamment à travers le costume, nous percevons l’abandon du corset soutenu par Paul Poiret au début du XXe siècle, mais également le port progressif du pantalon au milieu du siècle ou même l’avènement de la mini-jupe dans les années 1960. Ces changements accompagnent des revendications sociales comme le droit de vote féminin adopté en 1944, l’adoption de la loi Veil sur l’IVG en 1974 ou, plus récemment, l’intégration du principe de parité.

La photographie Sans titre de Natacha Lesueur est représentative de cette évolution grâce au modèle qui est dénaturé. Natacha Lesueur soustrait le visage au corps, identité primaire de chaque individu et crée un motif énigmatique sur le ventre du modèle, ce qui détourne le regard et questionne l’imaginaire. Ce motif fait écho aux joues blanches qu’arbore la femme dans le tableau d’Hermann Göhler, dues probablement à l’utilisation d’une poudre de riz, voire d’un blanc de plomb, et renvoie aux travestissements que le corps humain subit à travers les époques. Dans la photographie de Natacha Lesueur, la posture de la femme diffère de celle prise par le modèle d’Hermann Göhler, démontrant ainsi une libération progressive du corps.

Dans les deux cas, le regard du spectateur est contraint de remettre en question sa perception grâce aux artifices conférés aux corps, aux attributs ajoutés ou, au contraire soustraits, ce qui, d’une certaine manière, déconstruit l’idée d’icône corporelle.


Pauline Berger
, Lucie Fournier et Flora Jaminais, étudiantes en Licence 3 d’Histoire de l’art, Université de Poitiers