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Les œuvres :
– Auguste Rodin, Adolescent désespéré ou Narcisse (1885-1890)
– Urs Lüthi, Nature morte (1992)
Le symbole : le fragment, la brisure, la fêlure
Les idées évoquées : le désespoir
Urs Lüthi présente pour la première fois son travail en 1966. Après une première série d’expériences picturales, il se tourne dès 1969 vers la photographie, à laquelle il applique une démarche de peintre : ses images tirées sur toile émulsionnée ont ainsi l’apparence de tableaux. Il s’y représente dans diverses mises en scènes, androgyne ou éphèbe, cultivant l’ambiguïté sexuelle. Sujet et objet de son travail, regardeur regardé, il interroge sa propre identité tout en amenant le spectateur à se questionner sur lui-même.
L’une des particularités de l’œuvre d’Urs Lüthi est la multiplicité des moyens qu’il utilise : peinture, sérigraphie, photographie, vidéo, sculpture, installation… La sculpture intervient en 1989, avec la série « Universelle Ordnung » (« Ordre Universel »), qui présente un dialogue entre photographies de verre brisé, moules de la tête de l’artiste et carte du monde. L’image de l’artiste s’efface alors quelque peu pour laisser place à des œuvres liant la question de l’identité et de l’individu à celle de la mondialisation.
Comment un artiste peut-il figurer le désespoir ? Comment le spectateur peut-il associer un motif visuel aux thèmes de la dépression ou de la détresse ?
Chez Rodin, le sujet est souligné par le titre, et la représentation laisse peu de place au doute : le désespoir s’incarne dans un corps tronqué et élancé qui semble implorer la pitié ou le salut. L’œuvre d’Urs Lüthi est moins parlante au premier abord, mais le motif de la fêlure évoque irrémédiablement un mental blessé et meurtri.
Les deux œuvres sont liées par une référence sous-jacente au mythe de Narcisse, auquel renvoient le second titre de l’œuvre de Rodin comme l’aspect de miroir de la photographie d’Urs Lüthi ainsi que sa couleur jaune (qui évoque celle de la fleur du même nom). L’histoire du jeune homme tombé amoureux de son propre reflet semble inciter le spectateur à se pencher sur ses brisures intérieures.
La question de l’intériorisation du désespoir peut aussi être soulevée dans chacune des œuvres. La fêlure capturée en photo par Urs Lüthi est disposée sous une plaque de plexiglas, ce qui renvoie à l’idée d’un désespoir intérieur mais invisible de l’extérieur. L’œuvre étant munie d’un cadre laqué qui évoque la peinture traditionnelle, elle semble livrer un portrait sans visage. À l’inverse, dans Adolescent désespéré, Rodin ne montre que l’extériorisation des sentiments par la tension du corps et son aspect morcelé.
Ces deux œuvres posent la question de la participation du spectateur : avec Adolescent désespéré, il observe de loin un personnage vivant une tragédie alors que Nature morte, par son absence de figuration humaine peut inciter le spectateur à s’y projeter. Le sous-titre de la photographie d’Urs Lüthi complète cette réflexion, « der universellen ordnung» signifiant « de la série de l’ordre universel », notion qui ouvre le sujet de l’œuvre à tout un chacun.
Marianne Bouhourd et Alice Dalmont, étudiantes en Licence d’Histoire de l’art et Archéologie, Université de Poitiers